TÁR ta gueule à la récré

[Cet article contient de gigantesques spoilers de bout en bout] Vus les premières critiques et l’énorme buzz pré-Oscar quasiment déjà attribué à Cate Blanchett, il est possible que cet avis sur Tár, le dernier film de Todd Field, soit légèrement à contre-courant. D’aucun·e·s affirment que Cate jouait déjà une prédatrice dans Carol (de l’autre Todd, 2015), voilà que c’est le sujet de Tár : une cheffe d’orchestre est accusée d’abus jamais vraiment expliqués, et c’est l’un des nombreux problèmes du film. Deux points positifs tout de même : le cast et la possibilité infinie de jeux de mots avec le titre.

TÁR manque d’imagination

D’abord, il faut parler de l’espèce de « polémique » qui entoure la sortie du film. Comme d’habitude, ce n’est pas vraiment une polémique, si ce n’est pour les titres d’articles putaclics. C’est une interview, celle de Marin Alsop, cheffe d’orchestre américaine, qui trouve le film « anti-women » (disclaimer : je pense qu’elle a raison). Ce qui est bizarre ici, c’est que Marin Alsop et Lydia Tár ont de nombreux points communs, genre vraiment :

  • elles sont toutes les deux formées par Leonard Bernstein
  • spécialistes de Mahler
  • à la tête d’orchestres européens
  • ont une fondation de mentorat pour jeunes cheffes d’orchestre
  • enseignent dans un conservatoire américain
  • sont mariées à une musicienne avec qui elles ont un enfant

Alors la femme de Lydia Tár est violoniste tandis que celle d’Alsop joue du cor. Bravo, superbe effort d’imagination digne des Lez Girls de Jenny Schecter. Une petite phrase de type « Toute ressemblance avec des personnes existantes serait purement fortuite. » eut été bienvenue.
L’autre différence notable entre les deux femmes, c’est qu’à notre connaissance Marin Alsop n’a pas été accusée de harcèlement sexuel ou moral. On comprend donc aisément que Marin n’ait pas goûté le film.

Il y a aussi la scène dont tout le monde parle : Tár donne un cours à Julliard, école de musique hyper prestigieuse à New York, et un·e étudiant·e lui explique qu’en tant que personne de couleur pangenre, iel ne s’intéresse pas à Bach, eu égard à sa misogynie. Pardon, c’est crédible ça ? On dirait le fantasme d’un éditorialiste de CNews en train d’élucubrer sur la cancel culture. On est JULLIARD et on parle de BACH – c’est comme si un étudiant de lettres à Normale Sup expliquait avoir cancelled Victor Hugo parce qu’il avait beaucoup de maîtresses, c’est fort peu réaliste tout de même.

Tár se croit original

Todd Field veut s’emparer d’un des grands sujets contemporains : le Metoo !! La cancel culture !! Mais ATTENTION plottwist ici l’agresseur sera une FEMME LESBIENNE a-ha! çA fé rÉfLéChiR hein !! NotAllMen mais SomeWomen !!

Pardon pour les points d’exclamations et les majuscules mais la mise en scène est tellement dans-ta-face / grotesque / grossière que j’ai l’impression que le réalisateur me parle comme ça. Sait-il qu’il s’inscrit dans une loooongue tradition de représentation des lesbiennes comme des prédatrices ?

Il me semble que ce trope de la lesbienne prédatrice date d’à peu près un siècle, du code Hays quoi, et qu’on n’en est pas vraiment sorti. Peut-être que le réalisateur l’ignore, mais il y a en gros trois grands types de représentations délétères pour les lesbiennes au ciné ou dans les séries :

  • la lesbienne qui meurt à la fin
  • la lesbienne qui sort avec un homme finalement
  • la lesbienne prédatrice / perverse / monstrueuse.

Dans cette dernière catégorie, on retrouve Rebecca de Hitchcock, tous les vieux films avec des vampires lesbiennes comme The Hunger, un peu Basic Instinct même si elle est bie, soyons précis, tous les films avec une relation prof-élève, et donc Tár. En plus – alors on dirait pas parce que c’est Cate Blanchett – mais Lydia Tár est codée lesbienne masc : parfois elle a une casquette et elle se présente comme « le père » de son enfant à l’une de ses camarades de classe. C’est vrai qu’on avait absolument besoin d’une énième représentation d’une lesbienne masc prédatrice en 2023, c’était l’urgence. Todd réinvente la roue.

Nina Hoss est super <3

En vérité, un film comme ça aurait pu être intéressant. Il suffit de lire Dans la maison rêvée de Carmen Maria Machado, ou d’observer les difficultés à formuler un #MeTooLesbien pour voir qu’il y a pas mal de questions à soulever sur la question des violences dans les relations entre femmes. Il y a même quelques personnes qui ont bien réfléchi au sujet. Mais alors, autant Todd a peut-être parlé à un chef d’orchestre pour la crédibilité de son film, autant ça se voit fort qu’il n’a pas été chercher l’avis de lesbiennes. A part le moment où elle dit être une “U-haul lesbian”, il n’y a pas de réflexion sur la question. Tár aurait pu être une banquière hétéro que ça n’aurait pas été si différent.

C’est peut-être un détail, mais j’ai l’impression que Todd Field n’aime pas la musique. Je me fous du jargon et des private jokes de musiciens, c’est juste pompeux. Par contre j’ai déjà ressenti plus d’émotions devant des vidéos YouTube d’orchestre que devant les scènes musicales de Tár, et ça c’est un problème. Puis, parmi tous les compositeurs, choisir Mahler : t’es pas drôle Todd. Premier degré, ennui, zéro humour. Et 2h38 de film sans avoir la politesse de l’humour, c’est long. Tu vois, tu l’aurais fait répéter un enregistrement du Galop Infernal, ça aurait mis tout le monde de bonne humeur, on aurait eu envie de rigoler avec elle, ça l’aurait rendue sympathique et paf! au moins un peu d’ambigüité.

Tár n’est ni ambigu ni subtil

On ne saura jamais ce que Lydia Tár a fait, c’est crucial dans l’histoire et pourtant c’est laissé de côté, hors écran. On voit juste que sa conscience n’est pas tranquille et qu’elle fait des rêves chelous et flous. Le réalisateur préfère rester dans le point de vue de l’héroïne, c’est ça qui l’intéresse et c’est son droit, même si du coup il passe totalement à côté de son sujet pour moi. Donc de quelle “ambigüité” on parle ? Je n’ai pas de doute sur elle, c’est suffisamment clair qu’elle a profité de son emprise sur plusieurs femmes. Ce qui aurait apporté un peu de complexité, ce serait par exemple de changer de point de vue, de s’intéresser à la perspective d’une des victimes de sa prédation. Si l’ambiguïté c’est juste laisser dans le flou le visage de Krista et la teneur des accusations, ça me semble un peu paresseux.

On veut voir plus de Francesca (Noémie Merlant) la smart factotum de Tár

Puis il y a la mise en scène, que j’ai trouvée d’une lourdeur repoussante. On nous montre que Lydia est puissante grâce à un plan en contreplongée : waouh, groundbreaking (ça me tombe des yeux.) Son appartement est de type brutaliste avec du béton apparent parce que, tu comprends, elle est froide et autoritaire. Tout est du même acabit, Cate en fait des TÁRtines – mais c’est ce qui plaît – et le scénario se veut malin mais est surtout grossier. La voisine grabataire de Lydia as la métaphore de la décrépitude intérieure de notre héroïne : elle tombe littéralement de son trône !! S.u.b.t.i.l. Je préfère ne pas repenser au déjeuner où elle demande à sa jeune TÁRget si elle préfère le poisson ou le concombre – choisir la vulgarité alors que c’était l’occasion de faire une blague sur le TárTár, franchement.

Et puis le coup de grâce de la fin : Lydia Tár (en fait Linda Tár car on vient d’apprendre qu’elle vient de chez les pauvres !! Quelle horreur) s’exile dans un pays non-identifié d’Asie du Sud-Est pour y diriger un orchestre qui joue de la musique de jeu vidéo !!!! Pour des fans déguisés !!!! Déchéance ! Avilissement ! Disgrâce ! Que c’est dégradant !

Bref, j’arrête de m’énerver, je suis inTÁRissable.

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