“Le Retour” en sélection officielle à Cannes : le backlash illustré

À 66 ans, Catherine Corsini est l’une des rares réalisatrices lesbiennes out du cinéma français. Dans ses premiers films, on sentait une frilosité à aborder le sujet du lesbianisme, présent mais en arrière-plan dans La Nouvelle Ève, diabolisée dans La Répétition, jusqu’à La Belle Saison en 2015 qui dépeignait la relation de Carole (Cécile de France) et Delphine (Ïzia) dans le milieu féministe des années 70. En 2021, elle sort La Fracture, un film largement autobiographique où elle choisit Valeria Bruni-Tedeschi (!) pour l’incarner.

En 2022, Catherine Corsini a tourné son 12e long-métrage, Le Retour : l’histoire de Kheìdidja, mère de deux filles qui retournent en Corse quinze ans après l’avoir quittée dans des circonstances tragiques. Catherine Corsini retrouve Aïssatou Diallo Sagna (César de la meilleure actrice dans un second rôle pour La Fracture) et caste Virginie Ledoyen, Esther Gohourou et Suzy Bemba, repérée dans la série L’Opéra. Durant cet été, les deux filles adolescentes de Kheìdidja connaissent leurs premières expériences amoureuses et sexuelles. L’une d’entre elles devrait vivre une histoire lesbienne, raison pour laquelle ce film était sous nos radars. On attendait sa sélection officielle à Cannes, Corsini étant une “habituée” du festival : La Fracture et La Répétition figuraient déjà dans de précédentes éditions.

Image du film Le Retour, Catherine Corsini, France 3 Cinéma - Le Pacte
Image du film Le Retour de Catherine Corsini © France 3 Cinéma – Le Pacte

Lors de sa conférence de presse du 13 avril, Thierry Frémaux, DG du Festival de Cannes, ne mentionne pas le Retour. Deux jours plus tard, un article du Parisien nous apprend que le film devait être en sélection, mais le conseil d’administration de Cannes a convaincu Frémaux, dans la nuit du 12 au 13, de suspendre ce choix. Pourquoi ? Plusieurs événements graves ont eu lieu sur le tournage, qualifié de “chaotique” par Libération :

  • Fait rare, le CNC a retiré les aides publiques initialement accordées au film, soit 580 000 euros, pour une raison légale et administrative : chaque scène d’ordre sexuel dans un scénario avec des mineur·e·s doit être examinée par la Commission des enfants du spectacle. En l’occurrence, une scène de masturbation était absente de la version envoyée à la Commission, mais aussi de celle envoyée à l’actrice concernée, Esther Gohourou, 15 ans au moment du tournage. L’entourage de Corsini parle d’une “toute petite scène très pudique”, de toute façon enlevée au montage. Au bout de son 12e film, peut-être devrait-elle être au courant de cette formalité administrative ?
  • Ensuite, il y a eu deux alertes sur de potentielles agressions sexuelles : un cascadeur qui aurait profité d’un réglage pour toucher une actrice, et un coach en acting qui aurait profité d’une scène de danse pour frotter son sexe contre celui d’une jeune actrice potentielle. Celle-ci en a parlé à Catherine Corsini, qui l’aurait virée. Le coach, lui, a été maintenu à son poste.
  • Enfin, d’autres faits concernent l’attitude de la réalisatrice face aux technicien·nes notamment : on comprend qu’elle est colérique, qu’elle s’emporte (elle aurait notamment jeté une bouteille d’eau à la tête de son assistante réal) et qu’elle n’est pas très portée sur le droit du travail. C’est en effet ce qui transparaît dans cet extrait d’une interview dans Corse-Matin :

“Bien entendu, je suis exigeante sur un plateau, avec mes comédiens comme avec mon équipe. Je suis là pour les bousculer. Et puis je trouve que les jeunes ne sont plus assez punk, mais plutôt à cheval sur des principes ou des horaires. Quand on choisit de travailler sur un film d’auteur, c’est un luxe et surtout un combat.

Catherine Corsini, Corse-Matin, 02/11/2022

Hier soir, 24 avril, nous apprenions que le film fait partie des ajouts à la Sélection officielle. Et ce malgré un signalement au Procureur de la République et une enquête en cours du CCHSCT cinéma. Frémaux décide donc de balayer d’un geste de la main toutes ces accusations.

Le collectif 5050 a réagi, faisant part de sa consternation face à cette sélection et apportant son soutien à l’équipe.

Symboliquement, le délégué général de Cannes envoie un nouveau signal aux féministes : on n’en a rien à foutre. Ce n’est pas le seul film qui pose problème : il a choisi comme film d’ouverture, hors compétition, le fameux Jeanne du Barry de Maïwenn, anti-féministe notoire qui a choisi Johnny Depp comme premier rôle. Les problèmes autour de Johnny Depp sont bien expliqués dans ce documentaire en accès libre. Thierry a également choisi de sélectionner en Officielle le dernier film de Catherine Breillat, une réalisatrice qui n’a pas beaucoup apprécié la libération de la parole au moment de MeToo et BalanceTonPorc. Elle a par exemple expliqué que ces hashtags rappelaient les dénonciations des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, ou encore qu’Asia Argento se vengeait ainsi de ne pas être devenue une star. Son dernier film raconte la liaison d’une avocate renommée avec son beau-fils.

Depuis des années, les féministes qui aiment et qui travaillent dans le cinéma déplorent la faible représentation des réalisatrices dans ce Festival : deux Palmes d’or seulement en 75 ans, c’est fort peu. Cette année, sept réalisatrices sont en compétition : un record ! Mais quelles réalisatrices, et quel symbole ?

crédit photo : © Abaca

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