Mélanie Vogel a 36 ans et elle vient d’être élue sénatrice des Français de l’étranger dans le groupe EELV. Ouvertement lesbienne, elle affiche régulièrement sur les réseaux sociaux sa relation avec Terry Reintke, députée européenne allemande.
Comment en êtes-vous arrivée là ?
J’ai rejoint les écolos en 2010. En 2012 je suis partie faire un stage au Parlement Européen. Je travaille pour quelques jours encore là-bas, je suis conseillère pour le groupe écologiste. Ma candidature au Sénat n’est pas une démarche individuelle, elle est issue d’une réflexion collective et d’un processus interne chez les écologistes Français de l’étranger. Il y a vraiment eu une volonté d’envoyer quelqu’un de jeune, une femme, une lesbienne. Dans l’histoire du Sénat, je serai la deuxième à être ouvertement lesbienne.
Avant d’avoir des responsabilités, je disais que j’étais queer, parce je pense que c’est plus la réalité de mon identité. Mais je me suis rendu compte que politiquement, ça servait vraiment à quelque chose de se définir comme lesbienne.
Le fait d’être lesbienne joue-t-il sur votre engagement politique ?
J’ai envie de répondre plusieurs choses à cette question. Déjà, une chose évidente : quand on est concerné·e par un sujet, on a un regard différent des personnes non concernées. Bien sûr que ça amène une vision sur tous les sujets LGBTQI+. Mais la question m’inspire autre chose : dans ma vie privée, je ne subis pas tout un tas de limites que subissent les femmes qui vivent dans l’hétérosexualité. Je ne subis pas les rôles genrés dans notre relation, tous ces trucs qui peuvent bloquer dans leur parcours les femmes qui vivent dans l’hétérosexualité, pas uniquement politique, mais professionnel en général. L’hétérosexualité, en termes de construction sociale, met les femmes dans une posture qui ne leur permet pas aussi facilement de prendre de l’espace, de prendre leur place dans la société. Je pense que quand on est lesbienne, on n’a pas ça : l’un serait plus légitime que l’autre à faire de la politique, etc. On subit de la lesbophobie c’est sûr, mais il y a aussi tout un tas de choses qu’on ne subit pas et qui libèrent beaucoup.
Vous êtes très visibles avec Terry Reintke, votre compagne, sur les réseaux sociaux, est-ce qu’une fois que vous aurez pris vos fonctions, vous pourrez continuer ?
Oui, bien sûr. Si j’arrête de faire des trucs comme ça, ça ne sert à rien d’envoyer des lesbiennes au Sénat !
Mais ça dénote beaucoup ! Certes, je ne suis pas énormément de sénateurs sur Instagram…
Alors je ne sais pas si vous vous êtes intéressée à la sociologie du Sénat, mais c’est 70% d’hommes, et uniquement 2% de personnes de moins de 40 ans. C’est une sociologie particulière ! Donc oui c’est pas étonnant que ce soit pas habituel. Pour moi c’est important de continuer à le faire. Mettre des photos avec Terry, c’est important. C’est important qu’il y ait des images accessibles de relations lesbiennes visibles dans l’espace public. C’est d’autant plus important quand on est élu·e, parce que mon élection est aussi un message très fort à envoyer à une partie de la population qui n’est pas représentée au Sénat du tout. Le fait que j’y sois la seule lesbienne out actuellement, ça dit quelque chose ! L’intérêt, c’est de montrer que c’est possible : les institutions de la République, c’est pour tout le monde. C’est important de donner de l’espoir et de la confiance aux gens qui peuvent se retrouver dans mon parcours et se dire : ça pourrait être moi. Ça participe à faire sauter certains plafonds de verre.
Le fait que Terry soit allemande change-t-il quelque chose à cette visibilité, au fait que vous n’ayez pas peur de vous montrer sur les réseaux sociaux ?
Honnêtement, je ne pense pas qu’il y ait plus d’homophobie en France qu’en Allemagne. L’Allemagne reste un pays très conservateur, ce n’est pas la Belgique, les Pays-Bas, la Suède…
Je passe ma vie à bloquer des comptes trolls qui nous balancent des horreurs, menaces de viol etc., et je pense que ça va empirer. Je m’attends à ça. Ce sont des images qui sont fortes, donc clivantes, donc ça fait réagir. Il y a du soutien mais aussi énormément de haine. Jusqu’à présent moi j’étais pas trop visible, mais Terry ce qu’elle se prend… je ne pense pas qu’on puisse dire qu’en Allemagne, l’homophobie est moins présente, que les esprits sont plus ouverts. Le mariage pour tous est passé en Allemagne bien après la France, et encore parce qu’Angela Merkel a été obligée. Donc cette visibilité ne tient pas au fait que Terry est allemande, ça tient au fait qu’elle est géniale.
Les sénateurs c’est 70% d’hommes, 2% de moins de 40 ans… Comment on fait bouger le Sénat ?
Moi je ne connais pas le Sénat, mais je connais très bien le Parlement Européen, qui est un univers très différent. Rien qu’en termes de symbole, les bâtiments sont beaucoup plus neutres, il n’y a pas cette moquette rouge et des dorures partout, les élus sont beaucoup plus jeunes, il y a beaucoup plus de femmes… Et comme tout le monde est de nationalité différente, ça neutralise beaucoup le poids des protocoles. Là au Sénat, rien ne va aller : la manière dont je m’habille, je vais arriver avec ma roue électrique (rires) je vois très bien que ça va être.
D’abord, il y a des millions de trucs qu’on voit pas quand on est hétéro et que moi je vais voir : je m’attends à râler sur des détails, des formulaires qui sont pensés par et pour des hétéros, je suis sûre que je vais me retrouver avec des formulaires avec « nom du conjoint » etc. Ensuite, le grand enjeu va être de visibiliser tous ces combats et de montrer qu’ils ont leur place à l’intérieur des institutions et j’espère que je vais arriver à montrer que non, le Sénat n’est pas forcément une institution phagocyté par des vieux hommes blancs hétéros. Enfin, on a tous des incarnations dans la tête : le Sénat c’est des vieux hommes blancs hétéros, et avec cette élection, cette image peut changer. Faire monter sur le devant de la scène des personnes différentes – des jeunes femmes, des personnes racisées, des lesbiennes…- pour qu’elles prennent de la place dans l’espace public, ça participe à déconstruire cet imaginaire. Et c’est par là que ça commence.
Est-ce qu’à la manière d’Alice Coffin, on peut s’attendre à une pratique d’élue-activiste de votre part ?
On peut s’attendre à ce que je ne change pas ma pratique militante, je serai autant militante qu’aujourd’hui, mais j’ai pas la prétention d’être aussi activiste qu’Alice Coffin. Elle l’a été beaucoup avant d’être élue, et j’admire beaucoup ça chez elle.
En ce qui concerne les lesbiennes, quels seront vos combats au sénat ? On pourrait se dire qu’après la PMA, c’est bon…
Il reste beaucoup à faire ! Il y a déjà la loi pour la réforme de l’adoption qui arrive au Sénat fin octobre. Ensuite, il faut déjudiciariser les procédures de changement d’état civil pour les personnes trans, il faut interdire les thérapies de conversion, il faut interdire les chirurgies de réassignation de genre pour les personnes intersexes, il faut mettre des vrais budgets dans la lutte contre les LGBTIphobies et pas des plans avec aucune action concrète dedans… Et sur la PMA, la loi n’est pas parfaite, on ne l’a pas ouverte aux personnes trans, on a toujours une procédure de filiation qui, même si elle permet à l’enfant d’avoir un acte de naissance avec les deux femmes comme parent, est toujours différente de celles des couples hétérosexuels qui ont accès à la PMA, ça n’a aucun sens.
Il reste beaucoup à faire pour les lesbiennes, mais aussi énormément à faire pour les personnes trans. Moi je suis très inquiète de la montée de la transphobie, y compris dans les milieux féministes. ll y a beaucoup de personnes dans les milieux féministes qui avalent certains arguments transphobes. Ça m’inquiète. Au Royaume-Uni c’est un gros problème chez les écologistes et je pense qu’il faut mettre le paquet là-dessus, parce qu’on s’occupe jamais des personnes trans en fait.
Le dernier livre qui vous a marqué ?
C’est peu original et c’est attendu, mais le dernier livre qui m’a marqué c’est Le Génie Lesbien, d’Alice Coffin. Je pense que tout le monde devrait le lire.
Même Pascal Praud l’a lu !
Oui ! C’est un livre très intelligent, très bien écrit, très utile. La comparaison entre la France et les Etats-Unis qu’elle fait est très intelligente, notamment quand elle parle du journaliste qui a interviewé Trump et qui dit qu’il a fait exploser la notion de neutralité politique, car c’est impossible de rester neutre face à lui. Quand elle raconte qu’à la rédaction de 20 Minutes, on lui interdisait de parler de sujets queer parce qu’elle est concernée, c’est un très bon exemple, c’est absurde, intellectuellement, ça n’a aucun sens ! Comme si les autres n’étaient « rien », elle elle est « lesbienne » et les autres ne sont « rien ». Il faudrait leur dire de ne pas traiter de sujets qui concernent les mecs (rires)
Et moins récemment, un livre qui vous a marqué ?
Tout Virginie Despentes m’a marqué. J’ai relu récemment King Kong Théorie, et je me suis rendu compte d’un truc : elle explique que ça a été une grande chance pour elle de devenir lesbienne, et que quand elle est tombée amoureuse d’une femme, c’était une opportunité à saisir, ça lui a permis de sortir de l’hétérosexualité. En lisant ça, ça a été le moment de ma vie où j’ai réalisé qu’alors vraiment, je n’avais jamais été hétéro ! Ce passage d’un truc à un autre, je l’ai pas eu. Ce n’est pas quelque chose que j’avais intellectualisé avant. Ça a aussi renforcé ma conviction de dire qu’on était lesbienne.
Sur votre compte Instagram, on trouve une photo de La Pensée Straight de Monique Wittig. Est-ce que vous pensez être la seule sénatrice à avoir lu Wittig ?
(rires) C’est très possible !
Est-ce que vous allez l’amener au Sénat et le poser négligemment sous les dorures ?
Peut-être, c’est une bonne idée ! Mais je vois la photo à laquelle vous faites référence, et La Pensée Straight est posée à côté d’un livre de Fabcaro. De cet auteur, je conseille Le Discours, c’est une amie qui me l’avait offert il y a longtemps, avant d’être avec Terry. J’étais dans une séparation très difficile, ça n’allait pas du tout, elle m’a offert ce truc et j’ai pleuré de rire pendant tout. Je conseille cette lecture si à des moments ça ne va pas, si vous avez un peu le cafard, si vous vous dites que la vie est nulle, le monde pourri.
Vous faites du sport ?
Je fais de l’escalade. J’aime beaucoup car quand on fait de l’escalade, on ne peut penser à rien d’autre, juste à des trucs très simples comme : où est-ce que je vais mettre mon pied ? C’est l’inverse de Terry qui, elle, court. Quand on court c’est plutôt méditatif, on peut penser à plein de choses, là c’est l’inverse : on ne peut penser à rien, et franchement ça fait du bien.
Est-ce que le Parlement européen, c’est un bon plan pour rencontrer des lesbiennes ?
Oui. J’ai rencontré la femme de ma vie au Parlement Européen donc je suis bien placée pour le dire ! Il y a plein de lesbiennes géniales au Parlement Européen. Et je conseille en particulier les écologistes au niveau européen : un repère de lesbiennes.