#59 – communauté, cœur brisé, sororité

« Les livres sont plus précieux que l’odeur d’une nuque, car on peut y trouver la mémoire d’un instant préservé à jamais. Il s’y dévoile parfois l’intimité d’une âme, que l’on pourra relire autant que l’on voudra. »

Oui je commence mes newsletters avec des citations en exergue maintenant, on ne m’arrête plus sur l’autoroute de la gloriole. Celle-ci en l’occurrence est extraite de Viendra le temps du feu, le superbe nouveau roman de Wendy Delorme. C’est l’histoire d’une communauté de femmes inspirée des Guérillères de Wittig qui entre en résistance dans un monde dystopique.

Ces deux phrases sont tombées à point nommé sous mes yeux alors qu’en parallèle je lisais un autre livre : l’ouvrage collectif Sororité dirigé par Chloé Delaume et qui inaugure la collection féministe des éditions Points. Ce livre est un cadeau.

C’est un cadeau au-delà du fait que les autrices nous expliquent de façon limpide que la sororité n’est pas une simple bienveillance un peu béate entre meufs, mais un véritable outil politique qu’il s’agit d’utiliser à bon escient, et non pour son ascension personnelle. C’est un cadeau parce que les autrices, chacune à leur manière, nous offrent un dévoilement de leur intime, une plongée dans ce qu’elles ont de personnel malgré un mot qui ne contient que du collectif, sororité. On a compris maintenant que l’intime est politique, depuis les féministes des années 70 je crois – pas sûre, j’ai pas révisé. Mais en vrai, ça veut dire quoi ?

Il faudrait prendre le temps de parler de chacun des quinze textes, mais en particulier, je pense à la poétesse Kiyémis qui raconte comment sa recherche de sororité dans sa famille lui a permis de rencontrer le féminisme. Je pense à la metteuse en scène Rébecca Chaillon qui tombe sur son journal intime d’enfance et d’adolescence dans un texte génial face auquel on ne peut s’arrêter de sourire, nous invitant par exemple à « arpenter lesbiennement le monde, avoir un regard gouin ».

Et je pense à Iris Brey qui parle d’amours lesbiennes, les siennes, dans un texte d’une audace à couper le souffle où il est question non pas de nuque, mais de ventres, de mains, de doigts et de cœur brisé.

[Attention, nous entrons dans la zone de spoil, veuillez ne pas lire ce qui suit si vous souhaitez préserver les effets de surprise du texte] C’est peut-être ce qu’il y a de plus courageux, dévoiler « l’intimité de son âme », surtout publiquement, surtout dans un livre que chacune pourra « relire autant que l’on voudra » mais c’est là, dans ce dévoilement, dans cette déclaration d’amour à une femme à jamais préservée sur du papier, dans cette faille montrée que nous, lectrices, pourrons déverser nos larmes dans une sorte de congrégation sororale des cœurs brisés. Ce que j’ai bien noté, c’est que ce texte-là – il s’appelle Nos mains nues – est le seul de l’ouvrage qui 1) m’ait fait pleurer, entérinant ainsi mon indécrottable romantisme ; 2) parle franchement d’amour entre femmes, tandis que les autres placent en majorité leur sororité dans l’amitié. Bien que l’amitié et l’amour ne soient jamais bien loin l’un de l’autre, clin d’œil appuyé.

Le geste sororal d’Iris là-dedans, pour moi, c’est de raconter en quelques lignes avec une transparence qui me fait encore monter les larmes – j’en ai marre – son cœur brisé, ses souvenirs de sensations si précises que oui, on se sait, been there, done that, got broken too, et son espoir que la sororité, qu’il vienne d’autres femmes ou bien de la même, pourra nous soigner. C’est aussi important que ça vienne d’elle, Iris Brey, qu’on a l’habitude d’entendre nous expliquer de façon très pédagogique, elle a ce don, le cinéma, les séries, la mise en scène, le regard féminin ; et qui tout à coup propose une parole ultrapersonnelle. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. [/Fin de la zone de spoil]

Sororité sort le 8 avril chez Points, avec d’autres livres format poche dont Le Regard Féminin d’Iris Brey et Testo Junkie de Paul B. Preciado.


A lire

Sur une thématique voisine, on peut lire cet article ultra pédagogique lui aussi à propos du lesbianisme politique chez Madmoizelle.

De l’intime qui fait pleurer, encore : un entretien de Time Magazine avec Elliott Page qui s’est trouvé, tout simplement.

Herstory, de Marie Kirschen aux précieuses éditions la ville brûle. Un abécédaire joyeux et vénère du féminisme indispensable qui mélange une explication hyper pédago de concepts féministes et une mine d’or pour trouver des références pop culturelles réjouissantes – on notera la passion contagieuse qui suinte de l’entrée « Riot grrrl ». Le tout agrémenté des dessins d’Anna Wanda Gogusey.

Sous nos yeux. Petit manifeste pour une révolution du regard, d’Iris Brey (je ne nierai pas avoir une fixette mais elle a réellement 3 livres avec son nom qui sortent en ce début avril, qu’y puis-je ?) et illustré par la géniale Mirion Malle. Une sorte d’adaptation du Regard Féminin destiné cette fois aux ados, mais que tout le monde peut lire. Avec notamment un “Top 10 des héroïnes qui se masturbent dans les séries”, et une liste de 30 films sélectionnés par Mirion et Iris pour remplir nos soirées confinées.

IndieWire a discuté avec Cheryl Dunye, réalisatrice noire et lesbienne, 25 après la sortie du culte The Watermelon Woman.

Un long form du New Yorker pour mieux connaître l’artiste lesbienne Nicole Eisenman.

Un TRÈS long form sur Sue Bird et Megan Rapinoe, nos fiancées préférées, dans GQ. Si vous ne lisez pas l’anglais, n’hésitez pas à regarder les photos qui, euh, valent leur pesant de cacahuètes. Megan Rapinoe qui bosse sans relâche pour l’égalité salariale, puisqu’elle a été faire un tour à la fuck*ng White House l’autre jour, concrétisant un instant le rêve de Zoe Leonard d’avoir une dyke comme présidente.

Sur un plan plus sportif, on notera que l’équipe américaine affrontera la France le 13 avril prochain, si le Covid-19 de nos Françaises s’en est allé.

Chez les Jaseuses, un article sur Susan Sontag, sa réception aujourd’hui et sa gouinerie.

Ô Susan, eussions-nous vécu à la même époque, tes joues m’auraient fait mourir d’amour <3

D’après Télérama, il faut lire cet album jeunesse intitulée Mes deux mamans.


A écouter

Brie Larson a repris Je sais pas danser de Pomme. S’ensuivit un échange par commentaires Instagram entre notre chanteuse à mèche blonde et Captain Marvel qui apprend le français et lâche « mon cœur » : on brûlera indeed.

Notons par ailleurs que Brie Larson est en train de « préparer quelque chose » avec Tessa Thompson, également actrice phare du MCU, avec qui elle nous avait offert un moment culte lors d’une convention de fans.

St Vincent sort un nouvel album intitulé Daddy’s Home le 14 mai et on a enfin des nouvelles de son mockumentaire créé en collaboration avec son ex Carrie Brownstein, The Nowhere Inn, montré à Sundance.

Theodora, ancienne membre du groupe culte Paul, Théodore et Gabriel qui enflamma en 2012 toutes les lesbiennes hypokhâgne option flûte traversière et crush personnel depuis, sort son premier album solo, c’est trop pour un seul cœur : à la fois le titre de son album et mon mood depuis deux mois.

Ce vendredi 9 avril sur France Inter, on écoute Foule Continentale de la formidable Caroline Gillet qui fait le portrait de Rima, une lesbienne révolutionnaire à Alger.

Sur France Culture, un épisode du Cours de l’Histoire sur les Archives LGBT+ et pourquoi il est primordial de s’en occuper. Le Collectif des Archives LGBTQI qui ont d’ailleurs leur propre podcast qui vient de sortir sa saison 2.


Pause publicitaire : les shampoings Pantene nous racontent l’histoire d’une petite fille trans avec deux mamans


A regarder

Le livre de photos Eye to Eye: Portraits of Lesbians de JEB vient d’être réédité et c’est la meilleure occasion de découvrir ce livre sorti en 1979, pavé dans la mare de l’invisibilisation chronique des lesbiennes et concentré de moments de joies et d’amour. Cela nous a permis aussi d’assister à un échange entre JEB et la gouine à suivre Alison Bechdel (dont le prochain roman graphique sort quant à lui le 4 mai en anglais, et dans un an en français.)

L’Etang, la pièce mise en scène par Gisèle Vienne avec Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez, dont les représentations ne cesse d’être repoussée, a sorti son teaser. On y aperçoit Adèle en survêtement Sergio Tacchini, une marque que j’avais oubliée depuis le collège.

Si l’on accepte le cliché de la lesbienne sociopathe (et fem, et riche, et bien sapée), I Care a lot sur Netflix est bizarrement assez plaisant.

Chantal Akerman est prolongée sur la Cinetek jusqu’au 5 mai et a désormais son allée dans le 20e arrondissement de Paris.

La websérie Merci de ne pas toucher d’Hortense Belhôte sur arte.tv nous explique quelques œuvres de la peinture classique de façon totalement queer et féministe, et c’est génial. 10 épisodes-bonbons de moins de 5 minutes.

Jodie Foster en pyjama Prada recevant via Zoom un Golden Globe auprès de sa femme Alexandra Hedison (Dylan de The L Word) et de leur chien Ziggy, lui aussi en Prada, le tout 8 ans après son remarquable discours de coming-out-mais-pas-vraiment aux même Golden Globes.

Le clip de KCIDY – Souterrains réalisé par la fabuleuse Roxanne Gaucherand avec de la drague gouine dans un bus.


Ce qui se prépare

SQFD : un festival de Sons Queer Féministes et Deter ?! C’est oui.

François Ozon prévoit de délesbianiser Les Larmes amères de Petra Van Kant.

Une nouvelle photo de Kristen Stewart en Lady Di.

Le biopic en préparation sur Marinette Pichon n’est pas évoqué dans cette belle interview croisée dans So Foot (papier) entre elle et Pauline Peyraud-Magnin.

Gillian Anderson incarnera bientôt Eleanor Roosevelt, icône bie selon Têtu.

Uzo Aduba (Suzanne dans Orange is the New Black) sera bientôt une shérif lesbienne dans une série des Kings.

Rose Rollins (Tasha dans The L Word) jouera quant à elle dans une série sur le basket – il y aura au moins un personnage lesbien.

Autostraddle a fait un recap de tout ce qu’on sait à l’heure actuelle sur la saison 2 de The L Word: Generation Q. En bref : Rose O’Donnell jouera la fiancée de Tina, Helena devrait réapparaître, et Alice aura une nouvelle émission (ou peut-être un podcast) qui s’appelle The Chart et dont le slogan est strap in, strap on. Tournage en ce moment.


Infos en vrac

Muriel Robin et Anne Le Nen se sont mariées !

La chamane la plus connue de France, Corine Sombrun, a fait son coming out dans 28 minutes (tout le monde, même Elisabeth Quin, même le film sur son histoire, avait présupposé son hétérosexualité)

Demi Lovato est désormais officiellement pansexuelle. (En tapant cette brève, j’avais d’abord écrit Demi Moore et mon inconscient n’a jamais tort.)

Un article sur Tahnee, notre humoriste préférée, dans la presse locale normande, avec “lesbienne” dans le titre !

Trois comptes instagram à suivre absolument : Matergouinité qui s’est offert un bel article dans Cheek, Black and gay back in the day découvert grâce au Guardian et Rêves de gouine, qui porte si bien son nom.

Les footballeuses américaines Ashlyn Harris et Ali Krieger ont eu un BÉBÉ, et l’enfant a déjà son compte instagram : @sloannephillipsdoesfashion.


De quoi faire communauté

Puisque qu’on ne peut toujours pas vivre d’intenses moments de promiscuité en attendant une bière au comptoir du Rosa Bonheur ni en se partageant l’équivalent de 25 clopes d’un coup dans le fumoir de la Machine du Moulin Rouge, comment faire communauté ? Eh bien par exemple en faisant toutes ensemble ce test d’Autostraddle : quel personnage de The L Word êtes-vous ? Irrésistible. Pour être tout à fait complète sur le sujet, on rappellera l’existence de cet autre test, par Buzzfeed cette fois. Moi j’ai eu la même réponse avec les deux et ça m’inquiète un peu.

La semaine dernière, nous avons vu à notre corps défendant l’élimination injuste de Chloé Charles de Top Chef, déclenchant une colère gouine unanime sur mon Twitter, et me faisant repenser à cet article de Shondaland sur les femmes cheffes queers que le programme a mis en valeur dans sa version américaine, comme Melissa King, devenue une icône. On n’en est pas encore là en France. On se consolera en relisant les recaps d’Anaïs.

The L Chart. Quelques lesbiennes – on ignore qui – ont donc réalisé notre fantasme à toutes : créer un·e Chart interactif à la Alice-de-The-L-Word avec des célébrités réelles. Il y a même quelques Françaises.

Le collectif QueerCode a créé un jeu vidéo, Traces, sur l’histoire des luttes contre le SIDA. Dans le 1er épisode, on peut y découvrir le livre d’Elisabeth Lebovici, Ce que le SIDA m’a fait. A jouer plutôt sur ordi.

Incroyable mais vrai, pour la première fois, une Dyke March – marche des gouines – est organisée le 25 avril à Paris. Une initiative réjouissantes du collectif de collages lesbiens. Tous les détails sur leur compte Twitter ou Instagram.

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