#58 – The L Word đŸ€

Pour l’instant, 2021 est une dĂ©monstration implacable de la pertinence du GĂ©nie Lesbien d’Alice Coffin. On en est Ă  la page 137, chapitre V : The L Word. “Le mot lesbien fait peur. Lesbienne, lesbienne, lesbienne, lesbienne, lesbienne. L’écrire, le dire, est une transgression, une Ă©mancipation, une rĂ©volution.” Alors, il nous est confisquĂ©. Ce dĂ©but d’annĂ©e est marquĂ© par une prise de conscience des biais des algorithmes de modĂ©ration des rĂ©seaux sociaux : sur Instagram, la chanteuse AngĂšle a voulu chercher le hashtag #lesbians et s’est rendue compte qu’il Ă©tait masquĂ© car “la communautĂ© Instagram a signalĂ© du contenu susceptible de ne pas respecter ses rĂšgles.” Un article de Numerama plus tard et le rĂ©seau social a expliquĂ© que c’était une erreur avant de rĂ©tablir le hastag.

Cela a rĂ©sonnĂ© avec un “tollĂ©â€ rĂ©cent autour des mots p*dĂ© et g0uine sur Twitter : des personnes LGBT+ utilisent ces mots, Ă  la base insultant, en faisant un retournement du stigmate. C’était le cas de cette utilisatrice qui a tweetĂ© “eh les g0uines, vous vous l’avez rencontrĂ© comment votre amoureuse ?”

Les newsletters parlant de lesbiennes tombent rĂ©guliĂšrement dans les poubelles des boĂźtes mail (sortez-moi de lĂ  !), crĂ©er une page Facebook avec lesbienne dans le titre est toujours aussi compliquĂ©, l’outil de retranscription de Microsoft ne reconnaĂźt pas le mot tandis qu’il est ok avec gay, et sans le travail fondamental de SEO Lesbienne, il y a fort Ă  parier qu’on tomberait encore sur du p0rno destinĂ© aux hommes en tapant “lesbienne” dans Google. S’autodĂ©finir, trouver nos pairs, chercher ou crĂ©er du contenu g0uin sur Internet : en l’état actuel, c’est Ninja Warrior.

Comme l’écrit Alice Coffin, “les lesbiennes sont la plus lourde menace contre le patriarcat”. MĂȘme Ă  nous, le mot a fait peur. Dans son Ă©pisode du podcast Coming Out, Fatima Daas raconte qu’elle a dit Ă  sa sƓur “j’aime les femmes”, pas “je suis lesbienne”, comme une maniĂšre de contourner. C’est un peu similaire Ă  ce que dit Pomme, dans le mĂȘme podcast : elle-mĂȘme a du mal avec ce mot, parfois elle dit gay. Parce que, selon ses mots, “le mot lesbienne, il agresse les gens.”

CĂ©line Sciamma (vous avez cru que j’allais tenir combien de temps sans parler d’elle ?) a Ă©tĂ© interrogĂ©e sur le fait que certaines personnes n’ont pas voulu utiliser le mot lesbienne pour parler de son rĂ©cent chef-d’Ɠuvre. Elle rĂ©pond ceci [traduction approximative] : “derriĂšre ce mot, il y a un projet, et je pense qu’il y a quelque chose de dangereux dans ce mot. On sait grĂące Ă  Monique Wittig que les lesbiennes ne sont pas totalement des femmes puisqu’elle Ă©chappent en partie au patriarcat (
) et c’est trĂšs, trĂšs subversif. C’est pour cela que la fiction a Ă©tĂ© si terrible envers les personnages lesbiens, elles sont vues comme dangereuses (
) On n’aurait pas peur de ce mot s’il n’était pas puissant.” Ça raconte la menace, disait-elle aussi ailleurs.

Quand le compte Twitter de la Berlinale – l’un des plus importants festivals de cinĂ©ma au monde – a saluĂ© l’impressionnant coming out de 185 (!) comĂ©dien·ne·s allemand·e·s, ils ont choisi de saluer le courage de ces personnes “gay, bisexual, queer, non-binary or trans*”, sans Ă©crire lesbian. C’était pourtant bien Ă©crit lesbish dans l’article original. Contrainte du nombre de signes ? “Gay” ou “queer” utilisĂ©s en terme ombrelle ? Toujours est-il qu’ils se sont rendus compte de leur erreur, l’ont corrigĂ©e et se sont excusĂ©s.

Le mot en L, sans cesse censurĂ©, Ă©vitĂ©, louvoyĂ©, pĂ©riphrasĂ©. Alors qu’il devrait ĂȘtre brandi, martelĂ©, scandĂ© tant son histoire est magnifique. Rendons nous compte : on en a hĂ©ritĂ© parce qu’il y a environ 2 600 ans, une meuf quelque part en GrĂšce a tellement aimĂ© les femmes que son Ăźle et son nom sont devenus ceux qui nous caractĂ©risent. Quel ultimate goal. Peut-ĂȘtre que dans une dimension parallĂšle, vous vous nommez les brestoises – que dis-je, les bretonnes ! – qui ont des relations laurianesques.


Podcasts

La saison 2 du podcast Coming Out est sorti : je conseille vivement l’épisode d’AloĂŻse Sauvage oĂč elle parle de sa mĂšre (alerte Kleenex), de sa sƓur (la talentueuse ClĂ©mence Sauvage) et de Jimy, bien sĂ»r. L’épisode de CĂ©line Pham aussi, oĂč elle raconte cette fille du lycĂ©e, puis les sorties au Pulp, GayVox, l’équipe de foot amateur, la deuxiĂšme famille. Et celui de Fatima Daas, qu’on peut Ă©galement entendre dans un trĂšs bel Ă©pisode de La Poudre (avec une mention de
 moi?!)

Pas son genre avec Amandine Gay, oĂč elle explique la pansexualitĂ© et raconte qu’elle a proposĂ© Ă  des producteurs le scĂ©nario d’un film avec une femme noire sommeliĂšre et lesbienne. OÙ EST-IL ? Nous en avons grandement besoin.

Alice Coffin a parlĂ© dans le Code Source du Parisien, big up Ă  la journaliste qui dĂ©couvre Ă  la fin que le militantisme s’insĂšre dans toutes les sphĂšres de la vie.

Pour mesurer le retard de nos législateurs par rapport à nos vies, écoutez cet épisode des Pieds sur Terre avec Ali, homme trans enceint, François et Salomé, une histoire de parentalité racontée par la sensibilité de Clémence Allezard.

Pour les oreilles anglophones, Sarah Paulson est drĂŽle chez Tig Notaro.


Infos en vrac

Deux coming outs majeurs en janvier : la joueuse de football brĂ©silienne Marta et la chanteuse/danseuse/YouTubeuse JoJo Siwa (oui moi aussi j’ignorais son existence jusqu’à prĂ©sent #okboomer)

Le principe de crĂ©ation d’un Centre d’Archives LGBTQI a Ă©tĂ© enfin votĂ© au Conseil de Paris. Une victoire du Collectif Archives LGBTQI qui se bat depuis une vingtaine d’annĂ©es pour ça. A voir maintenant le lieu qui va ĂȘtre choisi, ainsi que le montant des subventions.

Barbara Butch devient égérie pour le parfum La Belle de Jean Paul Gaultier.

La sĂ©rie The Crown de Netflix est un trĂšs bon somnifĂšre, mais il faut reconnaĂźtre que son casting est intĂ©ressant : Emma Corrin (Lady Di dans la saison 4) semble trĂšs bonne amie avec notre Christine & The Queens nationale. Erin Doherty (Princess Anne en saison 3 & 4) est en couple avec une autre actrice, out and proud. Vanessa Kirby (Princess Margaret en saison 1 & 2) joue l’un des rĂŽles principaux du prochain film lesbien The World to Come. Elizabeth Debicki (Princess Diana en saison 5), trĂšs secrĂšte sur sa vie privĂ©e, a incarnĂ© Virginia Woolf dans le biopic de 2019 Vita & Virginia. Gillian Anderson, icĂŽne bisexuelle bien aimĂ©e, incarne l’affreuse Margaret Thatcher et vient de se sĂ©parer de son compagnon. Let’s go lesbians?

J’en ai marre de lire des articles sur la disparition des bars lesbiens aux USA, mais en voilà un nouveau.

Le SĂ©nat & la PMA : on n’attendait rien et on est quand mĂȘme déçu·e·s. La Palme d’or du foutage de gueule est attribuĂ©e Ă  ce sĂ©nateur qui a appuyĂ© ses arguments anti-PMA avec un tĂ©lĂ©film passĂ© la veille sur TF1 : MĂšre porteuse pour star dangereuse, mĂ©langeant allĂ©grement PMA et GPA dans un grand gloubi-boulga conservateur, le tout saupoudrĂ© de mĂ©pris de classe.


Lectures

Vita & Virginia, le biopic de Chanya Button, donnait envie de lire la correspondance enflammĂ©e des autrices Virginia Woolf et Vita Sackville-West – ça tombe bien, elle est rĂ©Ă©ditĂ©e en anglais, avec en introduction un trĂšs beau texte d’Alison Bechdel, l’éternelle gouine Ă  suivre.

Lisa Mandel, autrice de BD et notamment d’Une AnnĂ©e Exemplaire, a dĂ©cidĂ©, tout simplement, de lancer sa maison d’édition indĂ©pendante, pour rĂ©parer la mauvaise rĂ©munĂ©ration des auteur·ice·s et obtenir “une plus grosse part du camembert.” Il fallait bien un peu de gĂ©nie lesbien pour bousculer le monde de l’édition.

Parmi les maisons d’édition qui font bouger les choses, on en surveille deux en particulier : Cambourakis, qui a sorti une nouvelle traduction d’un livre de Dorothy Allison, autrice lesbienne qu’on connaĂźt mal en France, et prĂ©pare la sortie du nouveau roman de Wendy Delorme, Viendra le temps du feu. La ville brĂ»le, quant Ă  elle, creuse son sillon en publiant notamment des livres pour enfants et ados : on l’avait remarquĂ©e avec Ma Maman est bizarre fin 2020, et voilĂ  qu’elle publie l’essai fĂ©ministe Her Story de la journaliste Marie Kirschen, avec la mĂȘme illustratrice, Anna Wanda Gogusey. Nous attendons.

Pendant des annĂ©es, le SCUM Manifesto de Valerie Solanas n’était pas facile Ă  trouver en français, puisqu’il Ă©tait soit inexistant en librairie, soit disponible Ă  119€ sur Rakuten, soit postfacĂ© par Michel Houellebecq et ça, non merci Michel. Justice sera rendue avec sa rĂ©Ă©dition chez Fayard le 17 fĂ©vrier, postfacĂ© cette fois, ouf, par Lauren Bastide.

Plein de revues fĂ©ministes arrivent : La DĂ©ferlante, une revue papier qui sort le 4 mars avec notamment un entretien croisĂ© entre Annie Ernaux et CĂ©line Sciamma. SorocinĂ©, un podcast cinĂ©phile qui se transforme aussi en papier. Le N°4 de Well Well Well, la revue lesbienne arrive courant 2021. Et Le Feu, une revue littĂ©raire en ligne qui va tout brĂ»ler : vous pouvez d’ores et dĂ©jĂ  leur Ă©crire pour contribuer. Il se murmure que de famous plumes s’enflamment dĂ©jĂ .


Musique

L’album de Lala &ce est arrivĂ©, tout le Gouinistan chaloupe doucement en rĂȘvant du jour oĂč l’on pourra la voir en concert. En attendant, on peut l’écouter dire Ă  Marie Richeux qu’elle a une trĂšs belle voix.

Mansfield TYA, ce duo composĂ© de Carla Pallone et Rebeka Warrior, sortira Monument Ordinaire le 19 fĂ©vrier avec le label Warriorecords. AprĂšs un aperçu avec le clip de AufWiedersehen, le groupe dĂ©voile peu Ă  peu l’album en postant des “stĂšles” sur Instagram.

Écoutez-vous Girl in Red? Ou comment le nom d’une chanteuse est devenue synonyme de lesbianisme pour la Gen Z. Un peu comme Sappho, finalement.

La chanteuse bisexuelle Phoebe Bridgers a donnĂ© une performance remarquĂ©e au SNL puisqu’elle a explosĂ© sa guitare comme au bon vieux temps du rock ‘n’ roll.

Tous les dimanche soirs (mais en fait souvent le lundi), MĂ©lissa Laveaux nous offre une berceuse sous la forme d’une reprise. A regarder sur son Insta TV.


Cinéma

Avant, trouver les films de la mythique rĂ©alisatrice lesbienne Chantal Akerman pouvait s’apparenter Ă  un vĂ©ritable travail de dĂ©tective : il fallait soit du temps, soit de l’argent, soit beaucoup de chances pour tomber dans l’interstice temporel entre le moment oĂč quelqu’un avait eu l’obligeance de poster un de ses films sur YouTube et celui de la suppression par ses ayant-droits. Cette pĂ©riode est temporairement rĂ©volue, puisque La Cinetek lui consacre une rĂ©trospective jusqu’au 15 mars avec 10 films. Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, Je, Tu, Il, Elle, Golden Eighties : fais ton choix, ils sont tous lĂ .

Le film Deux est le choix de la France pour les Oscars et a Ă©tĂ© nommĂ© aux Golden Globes. En France, ses actrices ont remportĂ© un Prix LumiĂšres. L’occasion de voir cet assez beau film sur l’histoire de Nina et Madeleine, deux lesbiennes ĂągĂ©es, sur tous les bons sites de VOD.

Le 11 fĂ©vrier, on regardera le film No Gravity, une docufiction rĂ©alisĂ©e par Silvia Casalino sur l’espace, les femmes astronautes, les cyborgs. Un film recommandĂ© par Alice Coffin. Infos pour s’inscrire.

On attend : Billie Holiday vs. The United States, avec Andra Day dans le rĂŽle de la chanteuse et Natasha Lyonne dans celui de Tallulah Bankhead, l’un de ses love interests (le 26 fĂ©vrier sur Hulu) ; I Care a lot, avec Rosamund Pike en lesbienne sociopathe (le 17 fĂ©vrier sur Netflix US) ; The World to Come, un film d’époque dans la campagne anglaise, mais on est refroidies par la prĂ©sence de Casey Affleck ; Cocon, un film allemand qui a l’air mignon ; un remake de Matilda avec l’actrice out Lashana Lynch dans le rĂŽle du Miss Honey, crush de milliers de baby dykes du monde entier ; La Fracture, le prochain Corsini avec Marina FoĂŻs et Valeria Bruni-Tedeschi en couple lesbien en plein divorce ; un biopic de Marinette Pichon, l’une de nos premiĂšres footballeuses out ; et bien sĂ»r Spencer, le biopic de Lady Di par Pablo LarraĂ­n avec l’icĂŽnique Kristen Stewart.


Télé

Ce lundi, nous avons rendez-vous avec Delphine, la premiĂšre lesbienne de l’histoire de l’irremplaçable Ă©mission L’Amour est le PrĂ©. On a dĂ©jĂ  entraperçu sa moto, mais le suspense reste entier : le mot en L sera-t-il prononcĂ© en prime-time sur M6 ?

On restera mercredi sur la mĂȘme chaĂźne puisqu’une cheffe lesbienne devrait compter parmi les candidat·e·s de la nouvelle saison de Top Chef. On l’entend dans cet Ă©pisode de LSD de France Culture oĂč l’on comprend qu’elle est mariĂ©e avec une sommeliĂšre et qu’elles ont mĂȘme un bĂ©bĂ©.


On se quitte avec cette photo de Kristen Stewart en mocassins (?) et serre-tĂȘte Chanel (?!) issue du dernier numĂ©ro de Vanity Fair France oĂč Constance DebrĂ© l’interviewe par Zoom, tout en regrettant l’époque des rencontres IRL, comme cette fois au Bristol oĂč elle, je cite Constance, “mettait ses doigts dans mes Marlboro.” Non, je ne m’en remets pas.

Allez salut, et continuons d’ĂȘtre dangereuses.

0 Shares:
1 comment
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You May Also Like
Read More

#40 – digue du lol

[DISCLAIMER : cette newsletter a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e en fĂ©vrier 2019, avant le coming out trans et non-binaire d’Elliot…
Read More

#44 – spĂ©cial CĂ©line

Bonjour les ami·e·s, Permettez-moi d’utiliser cette newsletter comme outil cathartique pour canaliser mes envahissantes obsessions. En cette fin avril,…