[Cannes 2025] Hafsia Herzi, réalisatrice de La Petite dernière

Lesbien Raisonnable a rencontré l’actrice et réalisatrice Hafsia Herzi qui présentait au festival de Cannes son film La Petite Dernière, adaptation du roman emblématique éponyme de Fatima Daas. Couronné de la Queer Palm, le film a également valu à son actrice principale Nadia Melliti le prix d’interprétation féminine. Dans cette interview menée par Athina Gendry, la réalisatrice raconte ce qui l’a touchée dans le livre, son processus de création et les obstacles qu’elle a rencontrés pour faire exister le film.

Lesbien Raisonnable : Qu’est-ce qui t’a plu dans le livre de Fatima Daas et t’a donné envie de l’adapter au cinéma ?

Hafsia Herzi : J’étais très touchée à la première lecture par le personnage et par l’histoire. Je me suis dit : « Tiens, je n’ai jamais vu un personnage comme ça représenté dans le cinéma français », une femme lesbienne musulmane d’origine maghrébine. J’ai eu envie de creuser et d’écrire ce personnage pour le cinéma.

Fatima (Nadia Melliti) – Image du film La petite dernière © Ad vitam

Connaissais-tu Fatima Daas avant ?

Non. On m’avait proposé de lire La Petite dernière quelques mois après sa sortie. On s’est rencontrées, on a échangé et tout de suite, le feeling est passé. Même si ce n’est pas mon orientation sexuelle, je me suis retrouvée dans plein de points du livre, notamment la famille et le parcours scolaire du personnage. C’est un personnage qui certes, n’existait pas au cinéma, mais que moi j’ai connu dans la vie. 

Fatima Daas a-t-elle été impliquée dans le scénario, dans le tournage ?

Non. Je n’avais pas envie que quelqu’un se mêle, je n’avais pas envie d’avoir de pression à ce niveau-là. C’était clair dès le début et elle était OK avec ça. Je lui ai posé des questions pour créer le personnage, et quand j’ai eu les premières versions du scénario, j’ai eu envie de lui faire lire, d’avoir son ressenti. Elle m’a vraiment fait confiance. Je lui ai montré le film en janvier, avant la sélection cannoise, alors qu’il n’était pas encore tout à fait terminé techniquement.

Quelle est ta scène préférée, celle qui te touche le plus dans le film ?

Peut-être celle de la Pride. C’est une scène que je n’avais pas écrite, elle n’était pas prévue. On a tourné durant une vraie Marche, bien sûr avec les autorisations, avec une toute petite équipe. J’étais sur un char, on nous a laissé filmer très gentiment alors que ce n’était pas prévu qu’on monte dessus. Il y a vraiment eu une belle solidarité autour du projet, les gens étaient contents que le film se fasse. C’était magnifique, un moment incroyable.

Fatima et Ji-na (Ji-min Park) Image du film La petite dernière © Ad vitam

En voyant cette Marche, mais aussi la scène dans La Mutinerie ou au Rosa Bonheur [bars queer parisiens], je me demandais la raison pour laquelle tu avais voulu filmer ces espaces réels de la communauté ?

C’était une volonté de ma part d’être fidèle aux vrais lieux. J’ai eu envie d’y aller pour voir de mes yeux comment ça se passait, de discuter avec les gens. Pour moi, c’était important que la communauté puisse être représentée, qu’elle puisse se reconnaître. C’est pour ça que j’ai eu envie d’aller filmer les vraies personnes. Et on a été très bien accueilli·e·s, c’était simple.

Quels étaient les enjeux, pour toi, d’adapter une œuvre aussi emblématique dans les communautés lesbiennes ?

Quand j’ai lu le roman, j’ai ressenti un devoir de cinéma. Et en en parlant avec Fatima, elle m’a dit que pour elle ça avait été un devoir d’écrire. Comment ça se fait qu’aujourd’hui, ce personnage là ne soit pas représenté au cinéma ? Les gens ont besoin de s’identifier, pour se sentir moins seuls. Donc j’ai insisté pour aller dans les vrais lieux, pour faire les castings là-bas, et j’ai recueilli plein de témoignages. J’ai posé des questions personnelles à des gens que je rencontrais : comment ont-ils découvert leur homosexualité, est-ce que les parents sont au courant, comment ont-ils réagi ? Chaque histoire est différente, mais souvent les mêmes choses reviennent. 

Je ne me voyais pas ne pas chercher à être au plus près de la vérité. Surtout n’étant pas lesbienne moi-même. Et plus j’avançais dans les recherches, plus je me disais : « Il faut faire ce film. » Il peut amener à ouvrir la discussion. Les gens ne parlent pas de ça, c’est tabou. 

C’est pour ça qu’on a rencontré des difficultés à monter le film. Quand on leur pitchait le synopsis, les gens disaient : « Ah non, je ne veux pas, laisse tomber ». Et ça, ce n’est pas possible.

Tu veux dire au moment de chercher des financements, etc. ?

Oui, au moment de monter le film et même de le tourner. J’ai des images de casting où des gens se décomposent dès que la directrice de casting leur raconte le synopsis. C’est affolant, ça fait froid dans le dos. Pourquoi autant de haine ? Chacun est libre de vivre sa vie, ses désirs.

Nour, Dounia et Fatima (Melissa Guers, Rita Benmannana, Nadia Melliti) Image du film La petite dernière © Ad vitam

Au moment de la sortie du livre de Fatima Daas, le traitement médiatique avait beaucoup réduit son livre à un « conflit » entre le lesbianisme du personnage et sa religion. À quel traitement médiatique ou quelle réception du public t’attends-tu pour ce film ?

Le film a été bien accueilli. Unanimement, les gens me disent qu’ils n’ont jamais vu un personnage comme ça au cinéma. Il était temps qu’il existe ! Tous les jours, je reçois des messages sur les réseaux sociaux qui me disent merci, des témoignages de jeunes femmes et de jeunes hommes qui me racontent que l’histoire leur parle. Dans le film, elle est musulmane, mais elle pourrait être juive ou chrétienne, on raconte un parcours, celui d’une femme.

Au cinéma, lorsqu’un personnage queer a une religion – toutes religions confondues, c’est la plupart du temps représenté sur le mode du conflit. Comment as-tu pensé cet aspect-là dans l’écriture du film ?

Je n’aime pas le conflit. Selon certaines personnes, le sujet en lui-même porte un conflit. Or, j’avais envie de montrer le réel, c’est-à-dire que le conflit est intérieur au personnage. Elle se pose des questions, elle a du mal à s’accepter, elle sait que le chemin sera long, elle a peur de décevoir les siens… Mais on ne peut pas aller contre sa nature et ses désirs. C’est pour ça que j’ai « enquêté » pour être au plus près de la vérité. J’ai vite oublié le côté « elle aime les femmes », j’avais plus envie de filmer une jeune femme qui a simplement envie de vivre sa vie, de vivre ses désirs, de danser, de rigoler, de pleurer… peu importe sa sexualité.

J’étais à la conférence de presse donc je sais que tu n’es pas d’accord, mais de mon ressenti, il y a quelques scènes (la Marche, le collège, les pâtes) qui me rappellent La Vie d’Adèle de Kechiche. Qu’en penses-tu, vois-tu ces similitudes ?

Honnêtement, je n’ai pas regardé le film depuis des années, et je n’aime pas travailler avec des références. J’ai besoin d’avoir mon esprit libre. Après, il n’y a pas 50 manières de raconter des histoires… à part le fait qu’on parle de femmes lesbiennes, quel est le rapport ?

Cassandra (Mouna Soualem) – Image du film La petite dernière © Ad vitam

Comment as-tu pensé la mise en scène des scènes d’intimité ?

Ce n’était pas facile, je ne voulais pas faire quelque chose qu’on avait déjà vu. J’ai imaginé des décors, des situations sans en faire une scène de sexe classique, vue et revue au cinéma. J’ai par exemple cherché à susciter de l’érotisme à travers des mots, comme dans la scène de la voiture. J’ai essayé d’imaginer des tableaux visuels, plutôt que de montrer l’acte en lui-même. Et pour chaque scène, il fallait réinventer, trouver une façon unique de mettre en scène la sensualité. Donc ce n’était pas évident !

[Spoilers] Quelle signification a pour toi la scène de fin, avec la mère du personnage ?

Pour moi c’est un coming-out non verbal. C’est la dernière scène du livre, et je l’ai comprise comme ça. Elle a été compliquée à diriger cette scène, parce qu’il fallait que les choses soient ressenties. Pour moi, sa mère sait. Et elle lui dit qu’elle est là, et qu’elle l’aime. 

La Petite Dernière, un film de Hafsia Herzi, adapté du roman éponyme de Fatima Daas, avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Mouna Soualem, Louis Memmi… En salles le 22 octobre 2025.

Propos recueillis par Athina Gendry par téléphone le 22 mai 2025 dans le cadre de la couverture du Festival de Cannes.

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